Pourquoi peindre ?
On peut peindre poussé par différentes motivations:
pour se distraire, pour expérimenter, par passion, pour être
remarqué même si on n’est pas nécessairement remarquable,
pour arrondir ses fins de mois, pour décorer ses murs, par désoeuvrement, par compensation
de l’un ou l’autre manque, etc. Mais on peut peindre aussi tout simplement
pour répondre aux appels de notre nature profonde, par fidélité
à un programme que nous avons apporté dans les bagages
de notre naissance. Pour ce qui me concerne je pourrais me passer
de la peinture, mais il faudrait qu’une motivation plus convaincante
me pousse à le faire et dans l’état actuel de mon cheminement
personnel, je vois mal laquelle.
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Pour l’artiste, la création n’est pas un “hobby”
ni une occupation, encore moins une distraction, c’est un mode de
fonctionnement, une façon de vivre et de manifester ce qu’il
est.
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La
pratique approfondie de toute discipline est aussi un moyen de s’éprouver
soi-même, de se structurer, de se confronter à soi et
de se connaître mieux, mais l’exercice de l’art exige une pensée
et une sensibilité tout particulièrement affinées
qui nous attirent de manière privilégiée vers
les lieux secrets de notre être essentiel, plus efficacement que
la pratique d’un sport ou d’un bricolage et, faut-il le préciser,
à des années lumière du lieu où nous enferment
dans leur large majorité les émissions télévisées.
L’art, par rapport à d’autres activités intellectuelles
présente l’avantage d’exercer la pensée et de la mettre
à l’épreuve de la main, ce qui n’est pas le cas
de nombreuses autres gymnastiques intellectuelles. La pratique de
l’art est un moyen de compréhension de ce que nous sommes et
de ce qu’est le monde, elle nous permet de comprendre dans leur intimité
les principes qui permettent de tendre vers la cohésion, l’équilibre
et l’harmonie, d’éprouver concrètement comment tout
cela fonctionne et s’imbrique.
L’art est plus qu’un simple fait esthétique, c’est une manifestation
des archétypes présents dans chaque être humain,
dans toute forme de vie et partout dans le monde. L’art est donc inutile,
comme sont devenues inutiles le silence, la vie intérieure, la conscience intime de soi,
la vie spirituelle, la voie de l’ascèse, l’âme et, aux
yeux des grands mythes qui fondent aujourd’hui les lois de l’économie
et de la finance, l’individu lui-même, prêt à être jeté dès qu’il n’est plus “rentable”.
L’art
vrai est une voie vers la connaissance de soi et du monde, à
l’opposé de toute distraction dont le but est littéralement
de nous distraire de nous-même, c’est-à-dire, de nous
“tirer hors de” notre être intérieur. Une grande
part du désarroi et des malheurs du monde vient du fait que
l’on perd sa vie, son temps et son énergie à se distraire
ou à se rechercher dans des ersatz d’identité, c’est-à-dire
à se fuir soi-même, à s’éloigner de ce
qui fonde notre assise et nous confère notre réelle
dignité. |
L’art n’est pas utile, il est indispensable à la vie spirituelle et à la conscience
d’une civilisation. |
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La
peinture est un moyen de s’exprimer, c’est un langage, et comme
tout langage, possède son vocabulaire, sa grammaire, sa synthaxe.
Très peu, dans les académies et dans les écoles
d’art investies par la mode conceptuelle, apprennent encore aujourd’hui
ce langage et s’imaginent pouvoir l’utiliser ou le comprendre ou
plus grave, le juger sans rien en savoir. Les arts plastiques sont
les seuls à connaître un tel état de fait; on
imagine mal un poète qui écrive un texte ou un lecteur
qui l’apprécie sans maîtriser la langue, un musicien
sans rien connaître de son instrument, une danseuse qui ambitionnerait
d’exprimer des états d’âme sans aucune maîtrise du corps.
A
partir du moment où le peintre et le spectateur maîtrisent
ce langage, dès qu’ils comprennent que les arts plastiques
expriment un contenu par la “forme”, dès qu’ils
deviennent sensibles aux harmonies, au climat, à la dynamique
plastique pure, la dichotomie entre art abstrait et art figuratif
s’en trouve fortement relativisée et la querelle éventuelle
qui voudrait encore opposer les deux apparaît bientôt
comme dérisoire. Cette question est développée à la page suivante dans ce manuel du peintre.
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Un artiste peintre bénéficie de ce rare privilège
qu’il peut connaître une joie de vivre avec pour seuls biens
un crayon et quelques feuilles de papier, sans avoir besoin de
s’inféoder à un écran, de s’entourer de gadgets
ni d’arpenter le monde de plage en plage et d’hôtel**** en hôtel****.
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