La gamme des bruns.
En général, les études qui abordent la couleur considèrent généreusement celles de l’arc en ciel, tout en négligeant celles qui n’en font pas partie, c’est-à-dire la riche gamme des bruns.
Jusqu’au 19e siècle, cette couleur fut largement utilisée; avec l’arrivée des impressionnistes et des théoriciens de l’optique, elle fut délaissée. Pour Monet et ses amis qui se passionnaient pour l’influence de la lumière et de l’atmosphère sur les objets, le rendu des effets de lumière ne pouvaient être restitué que par les couleurs contenues dans la lumière “blanche”, celle du soleil, divisée en ses composantes par l’arc-en-ciel”. Voir page précédente.
Sans doute est-ce pour cette raison que les principes concernant le travail des bruns sont encore rarement évoqués aujourd’hui alors que beaucoup de peintres en ont exploité les richesses expressives.
Les couleurs contenues dans l’arc en ciel ont par nature un côté aérien, céleste, tandis que les bruns sont beaucoup plus terrestres, plus enracinés dans la matière. Ils donnent du poids, des “tripes”, du sérieux à une composition.
D’ailleurs, ces couleurs sont la plupart du temps fabriquées à partir de pigments prélevés dans la nature, dans la terre. Leur appellation le rappelle: terre de Sienne, terre d’ombre, terre verte, terre de Cassel… avec la riche gamme des ocres et de quelques nuances à tendance brunâtre.
Toutes ces couleurs présentent des modulations qui les apparentent aux tons du cercle chromatique. Il est possible d’établir une correspondance entre ces deux familles. Le tableau ci-dessous montre bien la similtude tonale qui existe entre les couleurs célestes et les couleurs terrestres, les secondes étant placées en parallèle autour des premières.
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Remarque: ce tableau est relatif, le prendre en tenant compte de deux variables:
– un écran d’ordinateur n’est pas l’autre.
La restitution des couleurs peut subir quelques modifications selon le calibrage des écrans.
– d’une marque à l’autre, une couleur qui porte la même appellation peut présenter des nuances sensiblement différentes, témoin ci-contre la terre d’ombre Sennelier à gauche, la terre d’ombre Rembrandt à droite.
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Le tableau ci-dessous montre la richesse des nuances qui peuvent exister dans la gamme des tons brunâtres. Les tons foncés ne laissent pas apparaître nettement la direction tonale tandis que le ton éclairci par du blanc la révèle clairement. Par exemple, les sépias peuvent être confondus avec du noir, or l’addition de blanc révèle la nuance contenue discrètement dans la valeur foncée. Par exemple, une fois éclairci, le sépia Rembrandt présente une belle nuance de gris presque neutre tandis que le sépia Sennelier dégage une direction nettement verdâtre. Cette caractéristique est due aufait que le sépia n’est pas une couleur pure mais une nuance composite fabriquée à partir de trois pigments: jaune + rouge + noir. Pour créer leur sépia, Rembrandt et Sennelier utilisent deux jaunes différents, deux rouges différents et même deux noirs différents. Rien d’étonnant à ce que le résultat présente des différences substantielles. Voir à la page “mélange des couleurs” quelques précisions concernant cette question des couleurs pures ou composites.
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Remarques:
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Les bruns foncés, surtout les sépias et le brun Van Dijck, peuvent
parfois remplacer le noir, soit pour foncer une autre tonalité,
soit pour grisailler une couleur en association avec le blanc. On peut ainsi réaliser de subtils gris colorés.
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Certains bruns permettent d’obtenir de très beaux verts
naturels, soit par addition dans un vert de base qui sans
cela serait très artificiel, soit par mélanges
de bruns entre eux, par exemple ocre jaune + sépia,
soit par addition de toute nuance de vert un peu trop
acide ou de jaune de cadmium. Dans ce cas, on pourra par exemple ajouter de l’ocre
d’or, de l’ocre orangée ou de la terre de Sienne à
un vert qui semblerait trop vif pour évoquer un élément
naturel. La tendance rouge contenue dans ces nuances brunes
est la complémentaire du vert, ce qui rompt la vivacité du vert.
– Certains bruns sont opaques, couvrants, tandis que d’autres sont semi-couvrants ou tranparents. Ces derniers, tel le stil de grain brun conviennent particulièrement pour réaliser un galcis.
– Il
existe d’autres nuances de bruns, chaque fabricant propose
la ou les siennes. Mentionnons aussi le rouge indien, un beau
brun rougeâtre très opaque ainsi que toute une
série de bruns transparents (oxydes).
– Au 19e siècle, les artistes dits “pompiers”
ont beaucoup utilisé un brun nommé bitume.
Cette couleur est responsable du noircissement des mélanges
où il intervenait. Actuellement, certaines marques
le commercialisent en garantissant sa qualité et sa
stabilité. Personnellement, par prudence, je ne l’ai
pas encore testé.
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Créer des bruns
On peut aussi créer des tonalités brunâtres à partir de différents rouges mélangés à trois tons principaux: le noir, le vert et certains bleus à tendance verdâtre.
Voyons ci-dessous quatre exemples de bruns réalisés à partir de noir d’ivoire, mélangé
à quatre nuances de cadmium. Au-dessus la couleur cadmium pure, en bas à gauche le résultat du mélange avec le noir d’ivoire; à droite, l’éclaircissement du mélange avec du blanc de titane:
1 – Noir d’ivoire + cadmium orangé. Le résultat est jaunâtre du fait de la direction orangé jaune de ce cadmium.
2 – Noir d’ivoire + rouge cadmium clair. Une addition de blanc de titane à droite révèle la direction tonale de ce brun rougeâtre.
3 – Noir d’ivoire + rouge cadmium Moyen. Plus proche des carmins, le cadmium moyen crée un brun violacé.
4 – Noir d’ivoire + rouge cadmium foncé.
Il est évident que selon la proportion de noir et de rouge, le brun qui résultera du mélange sera plus ou moins rouge et
plus ou moins foncé.
Tester des mélanges de rouge avec du vert, par exemple du vert cinabre foncé, ou avec un bleu à tendance verdâtre (indigo, Prusse…) car du rouge mélangé à un bleu à tendance violet ( outremer, cobalt…) donnera un ton plus violacé que brun, ce qui peut être précieux si notre intention consiste à créer un violet rompu. Tester pour s’en convaincre !
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En guise de démonstration du bon usage des bruns, regardons ci-dessous deux exemples qui illustrent bien les ressources de cette couleur.
A gauche, le célèbre “Bœuf écorché” de Rembrandt, à droite, un tableau de Zademack, un peintre fantastique contemporain. Remarquons que ces deux artistes ont choisi de faire dominer les valeurs foncées, ce qui, par contraste va permettre aux valeurs claires de devenir lumineuses.
En outre, Rembrandt
fait dominer les bruns chauds, à tendance rougeâtre tandis que Zademack utilise plutôt la gamme des bruns froids à tendance verdâtre, ce qui permet aux bruns rouges de devenir par contraste des notes sensibles. D’où aussi un climat coloré différent dans ces deux tableaux.
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