La
composition.
1
-L’idée fondamentale, la grande synthèse.
Lorsqu’on
parle de composition, on pense souvent à répartition
harmonieuse et équilibrée des masses dans le cadre
du tableau or, composer, c’est beaucoup plus et bien mieux que
cela. Composer, c’est structurer le tableau, lui insuffler
sa vie et sa cohésion en lui conférant sa lisibilté,
son intérêt et son originalité, c’est doser chaque élément afin qu’il assume harmonieusement son rôle dans le tout. Comment
atteindre cet objectif?
Le
plus simple est de commencer par des exemples, celui des deux
reproductions ci-dessous.
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A gauche, la célèbre “vague” de Hokusaï
et à droite la “traversée des Alpes par
les armées d’Hannibal” de Turner. Deux sujets
différents, deux compositions structurées sur
une idée identique, un élan qui tournoie et
s’apprête à retomber. On pourrait synthétiser
cette structure avec le schéma ci-dessus
entre les deux reproductions, peu importe que le mouvement
vienne de droite vers la gauche chez Hokusaï ou de gauche
vers la droite chez Turner, l’idée fondamentale reste
la même.
Pour bien intégrer cette notion très importante,
regardons encore les trois reproductions ci-dessous. |
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Le
tableau de gauche est de Breughel le Vieux, il s’agit de ”
la chute des aveugles”, celui du centre est de Rubens, “les
conséquences de la guerre” et celui de droite est
de Georges Braque, “nature morte sur la table” par le
procédé des papiers collés. Si on est attentif,
on peut remarquer que ces trois compositions sont construites
sur base de la même structure , à savoir une idée
d’ouverture en éventail ou si on préfère,
de chute de dominos. Le schéma sous les trois reproductions
synthétise cette structure fondamentale.
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Quelques
remarques à propos de ce principe de composition:
–
La pensée organisatrice synthétise la composition,
elle porte dans son dynamisme tous les éléments qui
la constituent, des plus grandes masses aux plus petits détails.
Pour que la composition soit structurée, cohérente
et “lisible”, il est indispensable que tous les composants
physiques du tableau viennent s’inscrire dans cette même intention.
–
A l’intérieur de cette structure, tous les sujets et tous
les styles peuvent venir s’intégrer. Elle laisse toute liberté
aux caractères des formes, à leur nombre, leurs grandeurs,
etc.
–
Cette pensée peut exister dès le début du travail,
mais elle peut également apparaître au cours de l’exécution,
à l’un ou l’autre moment, consciemment ou intuitivement,
mais connaître son existence et son importance permet d’aller
plus loin dans l’originalité, la cohérence et la vie
qui se dégagent d’une composition.
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La matérialiser par un petit schéma peut être
une aide précieuse pour en prendre conscience ou, au départ
d’une recherche, pour trouver des pistes utiles à la composition
d’un sujet. Conscience qui ouvre la voie à l’imagination.
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Les schémas ci-dessous sont un tout petit échantillonnage
d’idées qui ont été à la base de beaucoup
de tableaux et peuvent en inspirer une infinité d’autres.
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TRÈS
IMPORTANT !!!
Il
faut insister sur le fait que dans une composition le moindre élément
qui y figure est important et doit participer à la logique
de l’ensemble. Aucun détail ne doit être négligé
ou traité mécaniquement sans qu’il ne réponde
à une intention plastique clairement ressentie. On rencontre
souvent dans des compositions de débutants des détails
tels que les nuages qui servent uniquement de bouche-trou pour remplir
un ciel qui sans eux paraîtrait trop vide. Un nuage est aussi
expressif qu’un personnage qui figurerait à l’avant-plan,
son rôle peut être de souligner un mouvement de l’ensemble,
de charger un fond en détails pour mettre des surfaces dépouillées
en valeur, de rythmer l’espace du ciel et donc celui du tableau,
etc.
Si des nuages n’ont qu’un rôle de bouche-trou à jouer,
mieux vaudrait ne pas en peindre. Idem pour tout autre élément
qui n’assumerait qu’une fonction de remplissage.
Il suffit pour prendre conscience de cette nécesité
de regarder le tableau de Turner ci-dessus. Voir aussi le petit
tableau ci-dessous (10 x 15) où les nuages sont presque l’élément
principal de la composition.
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2
– L’équilibre.
Dans
une oeuvre plastique, la notion d’équilibre présente
des similitudes avec l’expérience que nous en avons dans
la vie quotidienne régie par les lois rudimentaires de
la physique newtonienne, mais, comme l’art est un domaine beaucoup
plus subtil puisqu’il relève de la sensibilité,
ses applications en seront elles aussi beaucoup plus subtiles.
Il ne s’agira donc évidemment pas de calculer les “poids”
des éléments plastiques qui se contrebalancent.
D’une
manière générale, nous pouvons considérer
que l’équilibre dans une composition obéira à
une répartition gauche/droite des divers constituants plastiques:
masses, couleurs, formes… Celle-ci se fera avec la présence
ou non, d’éléments repères, en quelque sorte
le fléau de la balance à deux plateaux. Celui-ci
pourra être une ou plusieurs formes évoluant dans
une large zone centrale, mais aussi un espace “vide”.
Dans le petit paysage ci-dessus, la forme repère est la
petite île avec la masse nuageuse qui la surplombe.
Notons
d’emblée que ce sont des éléments de même
nature qui s’équilibreront. Une masse équilibrera
une autre masse, une couleur chaude équilibrera une autre
couleur couleur chaude, un plein équilibrera un plein…
Tandis qu’un vide par exemple, n’équilibrera pas un plein,
qu’une couleur chaude n’équilibrera pas une couleur froide,
etc.
Depuis
notre enfance, nous connaissons cette question: qu’est-ce qui
est le plus lourd, un kilo de plumes ou un kilo de plomb ? Et
nous avons aussi compris que les deux sont d’un poids égal,
mais que leur volume variera considérabement puisque leurs
densités sont sans commune mesure. Nous soulèverons
sans difficulté un seau de plumes alors que nous ne parviendrons
sans doute pas à soulever le même seau rempli de
plomb.
Pour revenir à la composition, il en va un peu de même
en ce qui concerne la répartition des masses. Si nous considérons
l’exemple ci-dessous, nous constatons qu’un cercle clair est ressenti
comme étant plus léger qu’un cercle foncé
(figure de gauche) qui lui, semble plus pesant. Pour que le cercle
clair semble “peser le même poids” que le cercle
foncé, il sera nécessaire de lui conférer
une dimension plus importante (figure de
droite) ou éventuellement, de multipier le nombre de petites
surfaces claires.
Cette
caractéristique concerne d’autres éléments
plastiques comme par exemple les aspects de température
des couleurs. Si nous considérons les exemples ci-dessous,
nous pouvons constater qu’une couleur froide, ici le bleu, semble
plus “léger” qu’une couleur chaude, ici l’orangé,
simplement parce qu’une couleur froide est plus discrète
(introvertie) et qu’une couleur chaude attire et retient davantage
le regard (extravertie). Aussi, pour que la masse froide équilibre
la masse chaude, il sera nécessaire d’augmenter la taille
de la surface peinte avec la couleur froide. Mais on pourra tout
aussi bien multiplier le nombre de surfaces froides pour équilibrer
la masse chaude.
Il
a été question ici d’un équilibre basé
sur une forme d’égalité dans la répartition
des masses, or dans une composition, l’égalité n’est
pas toujours nécessaire, ce principe n’est pas absolu,
des différences auront au contraire pour effet de créer
un certain dynamisme, sans qu’il y ait pour autant une impression
de déséquilibre.
L’équilibre le plus simple à réaliser est
celui qui est basé sur la symétrie, qu’elle soit
absolue par rapport à un axe central ( effet miroir )ou
relative, c’est-à-dire plus libre. Dans une symétrie
absolue, les masses sont égales et réparties de
part et d’autre d’un axe vertical. Dans une symétrie relative,
les masses sont réparties en proportions ou dispositions
variables, exemple ci-dessous avec ce tableau de Uccello.

Les
valeurs claires, presque blanches des deux chevaux de gauche et
de droite s’équilibrent réciproquement, de même
que les couleurs chaudes des deux chevaux orangés et les
gris neutres de ceux qui sont couchés au sol. Les éléments
linéaires formés par les lances se répondent
de gauche à droite. Dans la moitié supérieure,
de petites masses à droite équilibrent celles de
gauche. Tout cela est réparti autour d’un repère
( le fléau de la balance ) formé par le grand cheval
clair légèrement décalé par rapport
au centre. Nous sommes encore ici dans le cas de figure d’une
symétrie relative qui prend peu de distance avec la symétrie
absolue. De nombreuses grandes compositions sont basées
sur ce principe.
A
côté de cette formule, quantité d’autres possibilités
existent, exemple le célèbre tableau de Hopper ci-dessous.
L’intérêt visuel est nettement déporté
vers la droite, là où se trouvent les personnages
et la lumière la plus contrastée par rapport aux
valeurs sombres dominantes. Il y avait donc risque de déséquilibre,
mais des lumières plus discrètes au sol et dans
le mur rouge suffisent à contrebalancer les valeurs claires
situées à droite sans pour autant détourner
le regard du spectateur. De même, quelques détails
dans l’architecture et sur la route permettent de contrebalancer
les détails localisés dans la moitié droite.
La tache rouge du comptoir est contrebalancée par le rouge
brunâtre du mur à gauche. S’il n’y avait eu ces éléments
savamment dosés répondant à la volonté
de traduire plastiquement le sujet ( impression d’isolement ),
la composition était entraînée dans un déséquilibre
certain.

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3
– Les grandeurs relatives des différents éléments.
Une
composition dont tous les éléments seraient de la
même taille risquerait fort d’être particulièrement
monotone, sauf évidemment si l’intention et le style le
justifient. Mais dans la large majorité des cas, des variations
de grandeurs seront judicieuses pour créer des relations
dynamiques entre les formes et ajouter de l’intérêt
à la composition. En outre, jongler méthodiquement
avec cet aspect entraîne l’imagination dans une aventure
créative qui ne peut que déboucher sur l’inattendu
et l’originalité. Il suffit d’y penser…
Pour
illuster clairement cette notion, prenons un exemple. J’ai choisi
quatre éléments en soi peu originaux: un château,
un personnage, un arbre, un oiseau, en l’occurence un aigle. Vous
pouvez les découvrir ci-dessous.
Quatre éléments, c’est assez peu pour une composition,
mais il s’agit seulement ici d’illustrer un principe et de prendre
conscience de son importance. En accordant à chacun de
ces éléments des grandeurs variées, je vais
réaliser quatre compositions différentes simplement
en modifiant à chaque fois la taille du château,
du personnage, etc. Ceci me permettra de découvrir des
formules auxquelles je n’aurais pas pensé si je n’avais
jonglé avec cet intéressant principe esthétique
et créatif.
On
peut voir ci-dessous ces quatre exemples et lire l’ordre de grandeur,
du plus grand au plus petit, attribué à chaque élément
qui les compose.

1)
personnage. 2) aigle. 3) arbre. 4) château.
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1)
arbre. 2) château. 3) aigle. 4) personnage
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1)
aigle. 2) personnage. 3) château. 4) arbre
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1)
château. 2) arbre. 3) personnage. 4) aigle.
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Il
va de soi qu’un tas d’autres solutions sont envisageables et qu’en
modifiant autrement les grandeurs, en ajoutant d’autres éléments
ou en jouant sur les divers aspects plastiques, le nombre de possibilités
tend vers l’infini.
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