Glacis,
empâtements, frottis.
Il
y a globalement trois grands principes techniques d’exécution qui sont
à la base de la “facture” ou façon de
travailler la couleur, ce sont:
1- Le glacis ou pose de couches de couleurs légères,
superposées et transparentes.
2- L’empâtement ou étalement d’une couche de couleur
épaisse généralement opaque.
3- Le frottis ou effleurage de la toile ou de la sous-couche avec
une couleur peu ou pas diluée.
Ces
trois méthodes peuvent être utilisées isolément
ou combinées, passons-les en revue.
1)
Le glacis. Il s’agit donc d’une fine couche de couleur
transparente étalée sur un fond blanc ou coloré.
Depuis la Renaissance, les artistes l’ont beaucoup utilisé
pour donner de la profondeur et de l’intensité à
leurs coloris. Lorsque les couleurs sont étalées
pures, elles conservent une intensité impossible à
obtenir par mélange car le mélange quel qu’il soit
enlève toujours aux couleurs une partie de leur pouvoir
coloré (mélange soustractif).
En principe, les couleurs les mieux adaptées à la
réalisation de beaux glacis sont les couleurs par nature
transparentes. Il faut donc pour ce faire, savoir si une couleur
est couvrante ou transparente. Les fabricants facilitent la tâche
du peintre en renseignant sur le tube même le degré
d’opacité ou de transparence de chaque couleur. Nous pouvons
voir ci-dessous comment la qualité Rembrandt s’y attache.
Il y a quatre degrés différents d’opacité
désignés schématiquement par le petit carré
situé vers le haut du tube, dans certaines marques il sera
parfois au bas de l’étiquette. À connaître
absolument !!!
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Un
carré entièrement blanc, ci-contre à gauche, désigne
une couleur transparente. Un carré blanc
traversé par une diagonale indique une couleur
semi transparente. Une diagonale qui divise la carré
en une moitié blanche et une moitié
noire signifie que la couleur est à moitié
couvrante; ce sera parfois un petit carré
noir inscrit dans le grand carré. Un carré
entièrement noir désigne une couleur
couvrante.
Une
conséquence très importante
découle du degré d’opacité
ou de transparence des couleurs. Dans un mélange,
une couleur opaque imposera facilement sa nuance
tandis qu’une couleur transparente, à quantité
égale, marquera plus difficilement le mélange;
pour qu’elle puisse l’influencer, il faudra donc
en ajouter une quantité plus importante si
ce n’est beaucoup plus importante.
La prudence demandera donc qu’on commence par mélanger
les couleurs les plus transparentes, il sera dès
lors plus simple d’ajouter par petites doses les
nuances couvrantes.
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Notons
qu’il est possible également de réaliser des glacis
avec des couleurs autres que transparentes ou semi transparentes,
donc avec des couleurs semi-couvrantes ou couvrantes, il suffira
alors d’utiliser plus de médium, mais le résultat
sera moins “léger”.
Effet, buts, principes du glacis:
– Conserver l’intensité, le pouvoir coloré des pigments.
– Augmenter la saturation des sous-couches, que celles-ci soient opaques ou réalisées elles-mêmes par glacis..
– Assombrir
les couleurs du dessous. Chaque couche ajoutera sa propre valeur aux sous-couches. Un glacis assombrit, il n’éclaircit pas.
– Sur une surface texturée présentant des reliefs, le glacis renforcera la texture.
– On peut utiliser une seule couleur ou un mélange de couleurs trasparentes.
La
pratique des glacis.
La
plupart du temps dans un glacis, les couleurs sont étalées
pures en couches de couleurs superposées, le mélange
est optique, il se fait par combinaison de différentes
couches qui apparaissent les unes à travers les autres.
A
l’opposé, le travail de la pâte se fait la plupart
du temps en mélangeant préalablement les couleurs
sur la palette.
Comparons les caractéristiques de ces deux
techniques.

A
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B
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<<<< Ci-contre
à gauche, fig A, un vert réalisé par
glacis, en deux passages d’un vert de cuivre (phtalo) transparent
sur un fond blanc. A droite, fig B, le même vert de
cuivre mélangé à un peu de blanc de
titane, opaque. Le vert réalisé par glacis
est plus intense, plus proche de sa note d’origine, il a
conservé intact le pouvoir coloré du ton pur.
Dans l’exemple B, par le mélange avec le blanc, le
vert a perdu de son pouvoir coloré, il s’est affadi.
A
droite, le portrait de Véronique, un détail
de la montée au calvaire de Jérôme Bosch.
La coiffe de Véronique a été réalisée
sur un fond de gesso blanc; les nuances et les plis ont
été apportés par des couches successives
de gris bleuté et de jaune transparents. Plus la
couche est légère et plus les gris bleutés
seront clairs, plus elle est chargée de pigments
ou plus il y a de passages et plus le ton s’assombrit. >>>>
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Buts du glacis:
– Conférer de la transparence à une couleur.
– Peindre des nuances qui dégagent une plus grande impression de
luminosité.
– Restituer l’effet de transparence de certains sujets: eau, verre, voile, brume…
– Renforcer l’intensité colorée de certaines tonalités, par exemple: laque de garance sur un rouge cadmium ou, pour obtenir le noir le plus profond qui soit,
un glacis de noir d’ivoir (semi-transparent) sur un noir opaque (noir de vigne, noir de bougie…).
– Modifier ou préciser la direction tonale de certaines couleurs. Par exemple, un blanc sera moins laiteux si on y pose une légère couche d’un ton transparent.
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Pour
être précis si ce n’est tatillon, un glacis désigne généralement le passage d’une couleur plus foncée sur
une autre plus claire. Si on passe une couleur plus claire, par exemple du blanc transparent pour figurer un voile, sur
une couleur foncée, le glacis devient une “vélature”,
voile en italien. Dans le portrait de Véronique,
on peut remarquer cet effet sur la chair du personnage,
dans le front, sous l’oeil, sur le nez… Ceci confère
une délicatesse de coloris typique de cette technique.
Ci-contre
à droite, le carré a d’abord été
peint uniformément avec un mélange de bleu
phtalo + du blanc de titane. Sur ce fond sec, une couche
de jaune indien, un jaune très transparent a été
posée. Le résultat est un vert profond impossible
à réaliser par mélange.
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C- (mélange)
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D- (glacis)
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<<<<
Les deux exemples à gauche montrent deux techniques
pour mélanger les couleurs. Dans les deux cas, un
fond de jaune de cadmium moyen a été préalablement
peint et laissé à sécher.
Dans l’exemple C, le vert du dessous est un mélange
du même jaune de cadmium avec du bleu phtalo.
Dans l’exemple D, le vert a été réalisé
par un glacis du même bleu phtalo sur le même
jaune de cadmium.
Outre
la différence de ton, le vert de l’exemple D est
plus intense, le jaune de la sous-couche et le bleu ajoutent
leurs caractéristiques pour créer le vert
résultant.
Dans
l’exemple C, le bleu et le jaune perdent chacun de leur
intensité colorée. Comme le jaune de cadmium
contient de l’orangé et donc du rouge, il tend vers
la complémentaire du bleu phtalo, d’où le
vert rompu qui en résulte.
(Voir ces notions dans la page concernant les mélanges).
Notons
qu’outre l’intensité du ton qui résulte de
la superposition, le glacis permet de conserver les textures
ou les motifs des sous-couches. L’exemple de droite >>>>>
nous montre un fond d’abord peint avec un médium
huileux puis texturé (à plat) avant séchage par un
pinceau trempé dans de l’essence. Une fois sec, ce
fond a été recouvert d’un glacis de laque
de garance foncée. Le fond transparaît même
dans les zones rouges les plus sombres.
Le dégradé a été réalisé
spontanément en une seule fois, le pinceau s’est
progressivement déchargé de couleur, ce qui
permet de terminer presqu’à sec.
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Comment
réaliser un glacis régulier ?
Dans
un glacis, la couleur peut être plus ou moins diluée. Certains tons comme le jaune indien, l’auréoline,
le blanc de zinc, le carmin, la laque de garance, le vert
ou le bleu phtalo… sont suffisamment transparents par
nature pour donner de très beaux glacis sans être
beaucoup ou pas du tout dilués. Comme ci-dessus à droite, dans certains
cas, le glacis peut être réalisé “presqu’à
sec”. Toutefois, traditionnellement le glacis sera
réalisé en diluant plus ou moins les couleurs dans du
médium. Plus une couleur sera opaque, plus il faudra la diluer. Après avoir abordé les couleurs à
utiliser, passons en revue les différents accessoires
utiles pour réaliser de beaux glacis réguliers,
si on souhaite qu’ils le soient…
Le
choix du matériel.
– Le pinceau sera en poils souples, martre ou poils
de nylon. Ne pas le choisir trop petit, ce qui laisserait
plus de traces de son passage.
– Le médium. La plupart des médiums
peuvent convenir, mais les fabricants en proposent qui
sont plus directement destinés à la technique
du glacis. Ils contiennent généralement
une proportion de résine qui les rend plus onctueux
et…siccatifs. Demander conseil au vendeur devenu depuis peu
manager ou lire la notice. Exemples de médiums à glacis, le médium
Van Eyck (086) de Talens, le médium Turner de Sennelier,
le médium flamand de Lefranc et Bourgeois…
Les
vernis à peindre ou à retoucher conviennent
également, de même que le médium que
je renseigne ailleurs et qui est constitué sur base de térébenthine
de Venise et d’essence d’aspic.
On
peut également fabriquer soi-même un médium (très)
basique qui convient pour le glacis: 1/3 d’huile de lin
ou mieux, d’huile de lin polymérisée + 2/3
d’essence de térébenthine rectifiée.
Ajouter éventuellement quelques gouttes de siccatif.
– Un glacis sera plus régulier si la surface
du support est lisse, par exemple un panneau de bois
ou de mdf traité au gesso puis poncé. Si
le support ou la sous-couche présentent des reliefs,
le glacis les accentuera, ce qui peut être fort
intéressant pour restituer certaines matières,
comme par exemple le grain de la peau ou la pulpe d’un
fruit.
L’application.
– La dilution dépend de la valeur qu’on veut attribuer
à la couleur, plus sombre ou plus claire. Pour
un glacis régulier, préparer à part
cette dilution, par exemple dans une coupelle, afin qu’elle
reste constante. Notez que plus il y aura de médium,
plus il sera difficile d’obtenir une surface régulière
où n’apparaissent pas les coups de pinceau.
– Etaler la couleur avec le “gros” pinceau souple,
éventuellement en passant dans différents
sens. Commencer à uniformiser, à atténuer
les traces de pinceau avec un autre pinceau souple et
sec, qu’on essuiera au fur et à mesure avec un
chiffon.
– Attendre une demi-heure, une heure… selon le médium
utilisé, que la couleur commence doucement à
sécher et terminer le processus d’uniformisation
de la couche, pour cela il est possible de revenir avec
le pinceau sec en passant dans différents sens.
Mais personnellement, je préfère pour cette
dernière phase utiliser la pulpe du doigt et caresser
doucement la surface colorée en traçant
de petits cercles.
Remarque:
– Un tableau peut être entièrement réalisé
par glacis ou seulement en partie, peut-être même
quelques petites zones seront-elles traitées de
cette manière, tout dépend des intentions
du peintre.
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2)
Les empâtements.
Le nom dit bien ce qu’il veut dire, peindre par empâtements
signifie qu’on charge son pinceau d’une bonne quantité
de pâte colorée, ce qui aura pour effet de donner du relief
et de l’opacité à la couche peinte.
La couleur utilisée sera épaisse, la plupart
du temps non diluée; d’autre part si, au sortir du
tube elle est trop chargée en huile, il sera possible
de préalablement éliminer celle-ci en déposant
quelque temps la couleur sur un carton, sur un journal ou sur du bois poreux,
matières qui feront office de buvard.
Notons
aussi que la plupart des marques proposent actuellement
des médiums gels, spécialement conçus
pour les empâtements, ils allongent la couleur sans
lui faire perdre de sa consistance, du moins dans la mesure
où on n’ajoute pas de quantité exagérée
de ce gel transparent.
Un autre procédé consiste à incoprporer
à la couleur une certaine quantité de sable,
de poudre de marbre ou de sciure, de préférence
d’un bois qui ne contient pas de tanin ni de résine,
afin d’éviter des réactions chimiques avec
la couleur.
Les
deux reproductions ci-dessous nous montrent deux détails
de tableaux de Van Gogh, la chambre à coucher à
Arles et les célèbres tournesols. Dans la
chambre à coucher, l’artiste a traité ses
aplats en couches de couleur épaisse afin de donner
de la force à une surface qui sans cette animation
par des reliefs aurait été vide et monotone.
Dans les tournesols, la matière picturale obtenue
par des empâtements devient la matière des
graines de la fleur. Ailleurs, comme dans le champ de blés
aux corbeaux, les empâtements créent des sillons
qui animent les paysage en vagues tempétueuses, à
l’image des secousses qui agitent l’âme du peintre.
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Le
pinceau utilisé est plus justement appelé
brosse. Il est généralement en soie
de porc et présente donc plus de fermeté
que le poil de martre ou le poil synthétique,
généralement trop souples pour s’adapter
à la technique.
Le
couteau et le shaper (voir fig.1 ci-dessous) peuvent
également être utiles si on veut créer
des traces aux contours francs ou marquer des sillons
ressemblant à une sorte de “talochage”.
Le risque serait de viser à obtenir un effet
facile qui ne correspondrait pas à une intention
de construire ses masses et d’oublier les autres aspects
esthétiques de la composition. Les cités
touristiques regorgent d’artistes boutiquiers qui
usent et abusent de ces effets à la limite
du kitsch, et juste bons à impressionner le
profane.
Il
existe des couteaux de toutes tailles et il est utile
de disposer d’au moins trois calibres différents
pour varier les largeurs des traces. Une répétition
est toujours facteur de monotonie et enlève
un côté naturel.
L’illustration
(1) montre deux brosses en soie de porc, trois couteaux
de tailles différentes et un shaper, pinceau
avec embout biseauté en caoutchouc dur. Il
en existe de différents calibres. Pour étaler
la couleur ou pour la gratter.
Le
couteau peut être utilisé sur sa largeur
ou sur sa pointe, en le tirant ou en le poussant,
mais aussi sur son tranchant, ce qui permet de tracer
des lignes fines plus ou moins droites contenant une
matière. Les illustrations ci-dessous montrent
des empâtements réalisés par un
tracé horizontal du couteau posé à
plat (2), puis un tracé vertical (3) et enfin
des traces fines réalisées par le tranchant
du couteau (4).
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En
variant le geste dans sa longueur, sa force d’appui, sa
rapidité, sa direction, sa souplesse ou sa raideur, etc… on obtiendra
toute une variété d’empâtements aux
matières différentes.
Les taches de couleur ci-dessous ont été peintes
avec deux couleurs non mélangées sur la palette,
de l’ocre et du noir. Ceci a pour effet d’ajouter de la
matière à l’empâtement.
Remarque:
d’autres accessoires moins traditionnels peuvent être
imaginés et utilisés pour réaliser
d’autres matières empâtées, tels par
exemple le rouleau, le spalter, du carton, des éléments
naturels comme le bois, etc.
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3)
Le frottis.
On devine que ce terme vient du verbe frotter.
Il s’agit en effet de frotter le support, mais en adaptant
son geste pour utiliser et révéler la matière
du fond et la faire participer à la matière
picturale. Un frottis s’exécute donc sur une surface
texturée, que ce soit une toile ou un support quelconque
dont la couche d’apprêt ou l’enduit contient des sillons
ou des empreintes plus ou moins profonds.
Son
but est triple:
– utiliser et révéler la texture du fond ou
de la sous-couche,
– créer une vibration particulière entre la
couleur du frottis qui accroche sur les aspérités
du support et la couleur de fond qui remplit les creux.
– faire apparaître des matières picturales
évoquant les matières de certains objets:
écorce, rocaille, tissus, feuillage, grain de la
peau, etc.
Composantes, caractéristiques, utilisations:
–
le support. Ce sera une toile, fine ou épaisse,
selon qu’on voudra rendre le frottis discret ou nettement
appararent. Le frottis sera en contact direct avec la toile
blanche ou étalé sur des sous-couches de peinture
elles-mêmes lisses ou texturées. Plus le support
présentera des reliefs et plus le fottis en révélera
la texture.
Le
document ci-contre montre deux exemples, à gauche
un frottis réalisé à même
la toile blanche, à droite un frottis de quelques
couleurs réalisé sur une surface peinte
en ocre jaune. Dans cet exemple, la sous couche était
lisse vers la gauche, elle a été traitée
par empâtements vers la droite. |
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– la
couleur sera peu ou pas diluée. Trop liquide,
elle pénétrerait dans les creux, ce
qui ferait perdre tout intérêt au principe
technique.
–
le pinceau sera tenu plus ou moins couché,
afin que les poils ne se faufilent pas dans les creux
du support. Voir le document ci-contre >>>>>
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Remarques:
Si le support est relativement peu texturé on aura
intérêt à peindre “presqu’à
sec” et à bien incliner le pinceau. Si le
support présente d’importants reliefs, la couleur
peut être plus épaisse, elle aura moins de
chance d’aller colorer les parties les plus creuses. Voir
illustrations ci-dessous.
À gauche, un détail de mon “invitation
au château”, un tableau peint sur une toile
traitée pour atténuer une partie du grain.
Celui-ci apparaît légèrement par endroits
grâce à un frottis “presqu’à
sec” d’une couleur un rien différente de la
nuance du dessous.
À droite, le support a été traité
par une couche de modeling paste mélangé
à du sable du Rhin filtré. Le frottis a
été étalé en couches plus
épaisses.
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Tours de main >
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