Les
différentes étapes.
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La préparation du travail.
Il
n’y a pas de méthode unique pour mener à bien un travail
de création par la peinture, mais un nombre sans doute aussi
important qu’il y a d’artistes. On peut toutefois établir
un type idéal de démarche reprenant les étapes
par lesquelles il est logique de passer. Ces étapes peuvent
être chronologiquement désignées comme suit:
–
La venue ou la recherche des idées.
– Les esquisses préparatoires,
– L’étude de détails importants.
– L’ébauche.
– L’exécution.
– La venue ou la recherche des idées
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Il est important de distinguer d’abord les notions
d’idée littéraire, à savoir
le contenu du tableau, le sujet, le message et l’idée
plastique, son organisation par la composition, les formes,
les couleurs, les matières…
Attendre
béatement que l’une ou l’autre tombe du ciel est une
attitude qui risque fort de décevoir le peintre, surtout
celui dont la production tourne autour de thèmes imaginaires.
Le Saint-Esprit est généralement trop sérieusement
occupé ailleurs pour venir ici dispenser son souffle.
Le peintre de paysage, de natures mortes ou de portraits sera
en cela avantagé, les sujets ne manquent pas autour
de lui et il lui suffit de regarder puis de sélectionner.
Il détient facilement son idée “littéraire”,
l’idée plastique dépendra essentiellement de
son style, dans la mesure où il en a un.
Le peintre abstrait ne rencontre généralement
pas ce problème puisque son sujet est soit la peinture
elle-même avec tout son vocabulaire plastique, soit
sa pensée ou ses propres émotions. Dans le premier
cas il lui suffit de se tourner vers les formes, les matières,
les couleurs, une structure de composition…et de jongler
avec tout cela. Dans le second, un peu d’introspection le
met en contact direct avec une matière psychique à
libérer picturalement.
L’artiste
de l’imaginaire présente ici étrangement un
point commun avec le conceptuel. Il lui faut trouver une idée
à exprimer, un thème à exploiter ou à
explorer, un message à transmettre… de préférence
de manière subtile, métaphorique ou symbolique,
en suggérant plutôt qu’en racontant, sous peine
de tomber dans la simple illustration. Il lui faut trouver
un contenu, dérouter le regard pour l’inviter à
aller plus loin que la perception conventionnelle. Ceci étant
fait, il doit enfin choisir la formulation plastique pour
exprimer ce contenu. A moins que la démarche fonctionne
en sens inverse, ce qui est possible dans une optique proche
de celle des surréalistes où le hasard assume
sa part créative. Le fait plastique sert de point de
départ tandis que le contenu littéraire éventuel
s’en dégage par la suite, révélant la
matière psychique de l’artiste.
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Dans
son tableau “l’Europe après la pluie”,
Max Ernst a suivi une démarche créative
typiquement surréaliste, c’est-à-dire
qu’il a “reçu” ses idées
plutôt que de les “émettre”.
Pour cela, il a recouvert sa toile d’une gamme
de couleurs terre, allant de l’ocre à la
terre verte, il y a plaqué de grandes feuilles
de papier aussitôt retirées. Une
texture est apparue, semblable à celles
que nous connaissons pour avoir réalisé
des “papillons” à la gouache
lorsque nous étions enfants. Il a laissé
sécher la surface, l’a longuement regardée
jusqu’à ce que des éléments
suggestifs s’imposent à son imaginaire.
Il lui a suffi dès lors de les mettre en
évidence en retenant ceux qui lui convenaient,
c’est-à-dire en sélectionnant les
contours par la couleur couvrante du bleu du ciel,
en renforçant certaines ombres et certaines
lumières et, pour finir, en ajoutant quelques
détails issus de sa propre matière
psychique. |
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L’artiste
de l’imaginaire peut aller à la rencontre d’idées
de multiples manières. J’en propose ici quelques-unes
qui ne sont pas exhaustives.
Lorsque l’idée littéraire, à savoir le
sujet, le message ont été choisis comme point
de départ, le défi consistera à mettre
tout cela en forme plastiquement, à structurer une
composition, à choisir un climat coloré qui
la soutienne, des matières qui la valorisent, etc.
L’idée littéraire seule ne suffit pas puisque
le langage pour la transmettre est d’ordre plastique. Ne pas
maîtriser ce langage ou le négliger équivaut
à balbutier lorsqu’on s’exprime par la parole. Le peintre,
quel que soit son style, doit en venir à penser en
terme de formes, au sens large du terme. Lorsqu’il dessine
un oeil, un nuage, un arbre, il crée avant tout une
forme qui doit en soi présenter des qualités
plastiques.
Lors
de cette étape, une série de croquis rapides
présentant chacun des variations dans la composition
sera des plus utiles, sauf si on se sent à l’aise dans
l’improvisation.
Une
démarche de recherche se fait en évitant de
répéter les mêmes formules, donc en les
CHANGEANT d’une approche à l’autre, en modifiant l’importance
accordée aux divers éléments, leur grandeur,
leur situation dans la composition, leur nombre, leur orientation,
leurs formes, etc. Il faut à chaque fois PENSER AUTREMENT,
éviter de tomber dans le confort de ses tics habituels,
dans des formules usées, cent fois utilisées
par soi-même ou mille fois par d’autres.
Il
est possible de peindre un tableau réaliste par totale
improvisation, c’est-à-dire en donnant les premiers
coups de pinceau sans savoir ce que sera la suite. La démarche
est très fascinante parce que le créateur devient
aussi spectateur de son travail, surpris à chaque étape
par ce qui s’impose à son regard. J’ai personnellement
beaucoup expérimenté cette démarche.
Vous pourrez en découvrir un exemple parmi d’autres
si vous cliquez ICI.
(Eliminez la fenêtre qui s’ouvre pour revenir à
ce texte).
Comme dans la démarche de Max Ernst, je me suis aidé
pour cela d’un fond qui contenait et proposait déjà
certaines formes ou plus exactement des textures. Mon support
n’était donc pas blanc, mais rempli de motifs aléatoires
réalisés généralement avec une
seule couleur foncée (sépia, gris de Payne,
indigo…) et texturée dans le frais.
J’ai
procédé, soit par froissement d’une matière
dans la couleur fraîche (mouchoir en papier, cellophane
alimentaire, feuille d’aluminium lisse (!) et posée à
plat…) soit par rendu de matières au pinceau,
souvent grâce à un médium un peu gélatineux
de style liquin ou médium alkyde, deux
produits très siccatifs qui ont pour propriété
de laisser plus apparentes les traces du pinceau. Dans ce
cas, au lieu de “tirer” la couleur avec le pinceau,
je la “pousse” vers l’avant.
Les “sillons” restent nettement plus visibles. Le
mouvement du pinceau peut varier, il peut tournoyer, pivoter,
s’étirer..D’autres fois, lorsqu’il s’agit par exemple
de peindre un feuillage, j’utilise un vieux pinceau “décoiffé”,
dont les poils se sont écartés en éventail.
Dans
cette approche, il est important de laisser une part au hasard,
de ne pas vouloir tout contrôler, c’est pourquoi j’utilise
des pinceaux relativement gros par rapport aux détails
ou matières à ajouter, les pinceaux fins ne
seront utilisés que pour les petits détails
qui doivent être précis.
Le
fond étant sec, j’ai fait ce que nous avons tous fait
un jour ou l’autre en regardant les nuages ou les taches sur
un vieux mur ou dans les marbrures des carrelages, j’ai “projeté”
dans ces méandres abstraits des éléments
figuratifs qu’ils me suggéraient. Il m’a suffi alors
de les révéler par la couleur, en renforçant
les contrastes entre les lumières et les ombres, en
y ajoutant des détails, en supprimant les magmas gênants…
La tache devient alors très vite montagne, tronc d’arbre,
eau ruisselante, etc. Tout cela avec un aspect naturel impossible
à obtenir en essayant de tout contrôler.
A noter qu’il est facile de projeter dans les nuages des formes
de visages, sans doute parce que c’est le sujet que nous connaissons
le mieux et parce que quatre points dans une forme quelconque
font aussitôt penser aux yeux, au nez, à la bouche.
En art, l’idée automatique est rarement la plus créative
car c’est l’idée de “tout le monde”, il faut
donc s’habituer à chercher plus loin.
Pour
celui qui se crée une ambiance de travail du dessin
et de la peinture, les idées germent plus facilement
que pour celui qui attend qu’elles lui tombent toutes cuites
dans les neurones. Le travail attire les idées comme
l’argent attire l’argent. Le peintre convaincu appliquera
la maxime ci-dessous attribuée à Appelle le
peintre latin:
“Nulla
dies sine linea” – Pas un jour sans tracer une
ligne.
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Les esquisses préparatoires.
Malheureusement
trop souvent négligée par l’amateur, cette étape
est sans doute la plus créative de toutes parce qu’elle
permet en quelques coups de crayons de créer des compositions
fort différentes et d’aussitôt visualiser l’impression
globale qui s’en dégagera. Avec vingt esquisses, on a
évidemment vingt fois plus de possibilité de choix
qu’avec une seule. Ces esquisses s’intéresseront à
la composition globale et ensuite à certains détails:
attitudes, climat de valeurs, etc. C’est une importante phase
de recherche parce qu’elle permet de développer l’imagination
car l’imagination restera toujours pauvre si nous nous contentons
de la première et unique réponse à un problème
particulier. Que dire lorsque la réponse existe sans
la question. A rappeler à nombre de nos dirigeants! Multiplier
les esquisses, c’est à chaque fois s’obliger à
“penser autrement”.
D’une esquisse à l’autre, on variera les situations des
différents composants, leurs proportions, leurs nombres,
etc.
Voici ci-dessous trois exemples parmi la dizaine d’esquisses
que j’ai réalisées en préparation de mon
tableau inspiré du château de Quermanço.
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Ces trois esquisses révèlent quelques tâtonnements
pour trouver une formule de composition qui corresponde à
mes intentions. Au départ je n’avais pas décidé
de la situation ni de la grandeur qu’occuperait le château
dans l’ensemble. A droite, on peut voir le tableau dans sa version
définitive. |
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L’étude de détails importants.
Après ces premières esquisses qui se préoccupent
essentiellement de la composition globale, il est souvent
utile de faire des approches qui définiront avec plus
de précision le dessin des éléments principaux,
surtout lorsqu’ils seront relativement complexes. Les illustrations
ci-dessous montrent deux esquisses différemment poussées
dans le détail, ainsi que le tableau pour lequel l’esquisse
de gauche a été réalisée
.
L’esquisse de gauche montre que tous
les détails n’ont pas été définis
dans le dessin, l’allure globale a été
retenue tandis que certains éléments ont
été modifiés ou créés
au moment de la réalisation du tableau (au milieu).
L’esquisse de droite est plus élaborée,
non seulement dans le contour, mais aussi dans les détails
et les jeux d’ombres et de lumière.
Tout ceci étant
mis au point, il peut être souhaitable de
dessiner la composition en entier ou presque. Le
dessin ci-dessous à gauche montre un projet
assez élaboré prêt à
être tranféré sur la toile ou
sur tout autre support avant que soit entamée
l’étape de la peinture du tableau. |
Le projet dessiné
peut être transféré de multiples
manières sur le support. Ici, le dos du croquis
a été frotté avec de la poudre
de couleur sépia afin de constituer une sorte
de papier carbone. Il a ensuite été
déposé sur le support préparé
au gesso gris moyen, pigment contre support, et
transféré en appuyant avec le crayon
sur le dessin.
Il y a aussi la traditionnelle méthode de
l’agrandissement par division du petit projet et
du support en un même nombre de cases carrées.
N’oublions pas occasionnellement le bon vieux pantographe,
mais aujourd’hui, avec l’ordinateur ou le rétroprojecteur,
l’artiste dispose d’outils autrement plus souples
et performants. |
Pour transférer mon projet, j’évite
le fusain dont les pigments noirs risquent de se mélanger
à ceux des pigments de couleur. Toutefois, si
on tient à utiliser ce matériau, il faudra
l’estomper sérieusement avec un chiffon ou le
fixer en passant dessus avec du médium acrylique,
ce qui donnera des nuances de gris prfois intéressantes
à concerver. Plutôt que le fusain, j’utilise
un crayon de couleur “neutre”, gris, brun…
J’appuye à peine sur le crayon et je fixe le
trait en le soulignant par un trait de couleur à
l’huile de la même teinte.
– La
pochade
est une sorte de synthèse esquissée de
ce que deviendra le tableau réalisé en
plus grand et plus poussé dans sa finition,
c’est un petit tableau brossé rapidement
et qui contient les idées principales concernant
la composition et le climat global. Elle peut être
une étape intermédiaire utile qui déblayera
déjà nombre d’incertitudes et orientera
l’esprit du travail qui suivra. Dans cette étape,
on fixera son intérêt essentiellement sur
le climat global dépendant des valeurs et des
couleurs, sur l’équilibre des masses, sur le
rendu de l’espace.
Ci-dessous,
la reproduction de gauche est une pochade réalisée
par Rubens, celle de droite montre le tableau dans sa
réalisation finale. La pochade est peinte dans
une gamme réduite; la couleur et le détail
n’étaient pas la préoccupation de Rubens,
par contre, il a focalisé son attention sur la
composition et le climat général. L’oeuvre
terminée n’est pas une reporduction fidèle
de l’esquisse, beaucoup d’éléments ont
été modifiés, supprimés
ou ajoutés, mais l’esquisse contient déjà
l’intention globale de l’oeuvre aboutie. Son format
est réduit par rapport à l’oeuvre monumentale
que constitue l’étape finale.
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–
L’ébauche.
Avec l’ébauche, commence
la peinture proprement dite. Pour rappel, dans
une création “improvisée”,
cette étape avec celles qui précèdent
n’ont souvent aucune raison d’être puisque
le travail commence d’emblée avec la couleur,
une approche courante pour un tempérament
coloriste ou dans certaines tendances expressionnistes.
Une ébauche contiendra le dessin et les
masses principales de valeurs, éventuellement
mais non pas nécessairement le début
des harmonies de couleurs. Il est donc possible
de ne se préoccuper que du dessin et/ou
de la distribution des ombres et des lumières. Les
autres aspects seront pris en compte plus tard et en temps voulu. Tout faire en une même étape
risque de disperser l’attention et la sensibilité.
Sérier les problèmes est la façon
la plus méthodique et la plus confortable
pour conduire son travail. Pensons à des personnes
que nous connaissons et qui font deux, trois ou
quatre choses simultanément, par exemple
Chose…
La reproduction ci-contre est
un exemple de cette première étape
du travail sur le support, une toile préparée
au gesso gris moyen. L’ébauche a été
peinte à l’huile avec seulement du gris
de Payne pour les masses sombres et du blanc pour
les lumières. La partie inférieure
montre un début de travail dans une gamme limitée de verts et de bruns. Voir ci-dessous le tableau terminé. Titre: la longue marche.
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D’une
manière générale, on commencera un tableau
en travaillant d’abord les grandes masses de valeurs et de couleurs
en utilisant de larges pinceaux. Au fur et à mesure de
sa progression, les détails et donc les pinceaux pour
les réaliser deviendront de plus en plus en petits. Toutefois
certains tempéraments artistiques préfèrent
entamer d’emblée leur peinture par de petits détails
et continuer de la même manière en recouvrant successivement
la surface centimètre par centimètre. Si cette
méthode leur réussit, même si elle semble
peu logique, ils auraient tort de s’en priver, mais avant d’être
certain d’avoir trouvé sa propre méthode, il est
intelligent d’expérimenter diverses approches. |
– Ebauche à l’acrylique
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Au 15e, au 16e…siècle, les peintres réalisaient leur ébauche à la tempera, c’est-à-dire qu’ils diluaient leurs pigments dans une émulsion à l’œuf, ce qui créait une surface mate très siccative. Ils pouvaient donc rapidement poursuivre leur travail à l’huile sur ce fond qui accrochait efficacement les couches grasses du dessus. Voir ci-dessous un détail d’un tableau inachevé de Van Eyck, la “Sainte Barbe”.
On peut constater que le dessin était tout d’abord entièrement réalisé à la mine de plomb; les premières couches de couleur étaient posées selon la technique à la tempera, ce que révèle cette reproduction.
Aujourd’hui, le peintre dispose d’un matériau moderne tout aussi siccatif et qui présente une bonne couche d’accrochage si il est dilué à l’eau, il s’agit de l’acrylique.
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L’exemple ci-dessous montre différentes étapes d’une surface traitée selon cette technique. Le support est un panneau de MDF de 6 mm traité avec six couches de gesso.
La partie horizontale supérieure et la partie verticale de gauche montrent un fond peint uniquement à l’acrylique (terre d’ombre brûlée et sépia).
En
bas à droite, on aperçoit un prolongement du travail à l’huile. Le but est de réaliser un encadrement en trompe-l’oeil.
L’angle inférieur gauche contient une sous-couche à l’huile qui sera affinée en plusieurs étapes. |
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Le matériel: les supports >
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