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Le style

Le style, qu’est-ce que c’est ?

Il
est utile ici de distinguer le style d’une époque et le style personnel.

1- Le syle d’une époque révèle des caractéristiques
en accord avec les mythes et les paradigmes d’un moment historique particulier.
C’est ainsi qu’on peut facilement distinguer une oeuvre baroque
d’une oeuvre classique, le classicisme du romantisme, etc. malgré
les spécificités stylistiques de chaque artiste appartenant
à ces courants. Lorsque le mythe est particulièrement
puissant il est aussi unificateur, le style personnel n’y trouve
pas ou peu de légitimité. Par exemple, il est édifiant à
cet égard de considérer l’Egypte ancienne.
Pendant une période de plus de 2500 ans elle a présenté
une continuité mythique et stylistique remarquable, simplement
parce que le mythe religieux cimentait et structurait la société
et l’art qui en manifestait la présence dans la vie quotidienne.

Exemples
ci-dessous, un peu plus de 3000 ans séparent ces deux oeuvres.
A gauche, la palette de Narmer, à droite le temple de Denderah
avec Cléopâtre et Césarion, un exemple typique
de ce que l’on peut appeler le “style d’époque”.
L’individu s’efface au profit du collectif, l’expression de l’égo
au profit de la transmission du mythe unificateur.


 

Lorsqu’au
Moyen-Âge le mythe chrétien était à son
apogée, les mêmes caractéristiques stylistiques
se retrouvaient dans les oeuvres des peintres et sculpteurs. Il
faudra attendre la Renaissance et son anthropocentrisme pour voir apparaître
des caractéristiques révélant de manière
limpide la personnalité de chaque artiste.
Face aux productions plastiques contemporaines, il est intéressant
de se demander quels sont les mythes actuels qu’elles
révèlent, ceux qui alimentent les valeurs qui conduisent
le monde ainsi que la profusion actuelle des formes artistiques,
cette atomisation des courants d’expression, ce chaos des références
esthétiques pour décider ce qui est art et ce qui
ne l’est pas. A chacun de poursuivre son propre questionnement sociologique.

2 – Le
style personnel
révèle aujourd’hui l’importance
prise dans notre société occidentale par l’individualisme
, certains diront l’égoïsme. Il y a autant de styles
qu’il y a d’artistes et les courants qui les rapprochent sont légions.


Les
deux tableaux ci-dessous datent de la fin du XXème
siècle, ils ont donc été peints à
la même époque. Les différences qui
les distinguent sont innombrables. Le style d’époque
s’est effacé au profit d’un style personnel. S’il
était possible d’y découvrir des points communs,
ce serait en poursuivant une réflexion d’ordre psychologique
ou sociologique.

Tapiès
à gauche est considéré par beaucoup
comme un peintre majeur du XXe siècle. Verlinde,
en digne héritier de Bosch et Cranach, se situe dans
la tradition de l’art fantastique. A chacun de décider
de ses préférences…
(Personnellement,
j’aurais tendance à rendre l’âme au nez de
Tapiès… Mais ceci n’engage que moi.)

Antoni
Tapiès

Claude
Verlinde

 

Le
style personnel est l’écriture du peintre,
sa
manière toute particulière de s’exprimer et qui le distingue
de son voisin ou de son collègue. Lorsqu’un enfant apprend
à écrire, il forme des caractères dont la graphie
est soumise à un seul modèle d’écriture le même pour tous.
Progressivement, avec la pratique, l’enfant affirme des spécificités
qui finissent par faire apparaître une écriture toute personnelle.
Il en va de même avec la pratique artistique. Lorsque nous étions
enfants, nous avons tous dessiné les mêmes maisons, les
mêmes arbres, oiseaux, fleurs, chats, poissons, soleil, nuages,
etc. en se référant aux mêmes clichés schématiques.
L’artiste débutant reste encore très dépendant
de la symbolique lentement mise au point depuis ses deux ans jusqu’à
sa douzième ou treizième année, âge auquel il abandonne généralement le dessin devant son impuissance à représenter ce qu’il a sous les yeux, c’est-à-dire à son incapacité de VOIR vraiment. Son cerveau est
encore tout imprégné de schémas clichés
qui s’interposent entre l’objet et la perception qu’il en a, qui l’empêchent de voir juste ou de créer des formes
originales. C’est la pratique régulière, qu’elle soit
guidée ou en solitaire, qui permettra au style personnel d’émerger
en tant que libération de tous ces encombrants lieux communs,
pour estampiller l’oeuvre d’une marque authentique et individuelle.
Ce manuel du peintre a aussi pour but d’aider l’amateur à y
parvenir.

 

liens internes

 



Les
schémas ci-dessus nous rappellent quelques-uns
des dessins symboliques élaborés par
notre cerveau depuis notre prime enfance jusqu’à
nos 13 ou 14 ans, âge où l’adolescent
prend conscience de ses maladresses et abandonne toute
tentative de représenter les choses telles
qu’elles lui apparaissent. Ce sera définitif
s’il ne s’obstine pas ou si personne ne lui apprend
à VOIR ou à CRÉER.
Ceci restera impossible tant que ces dessins symboliques
s’interposeront comme un écran entre son regard
et la réalité objective. La lente préprogrammation
du cerveau élaborée tout au long des
années restera la plus forte.
Or c’est bien là que réside le noeud
du problème, pour dessiner d’après nature,
c’est-à-dire pour représenter la réalité,
il faut VOIR JUSTE, la difficulté ne réside
pas dans la main mais dans l’oeil et les centres du
cortex qui le régissent.

Des
méthodes existent maintenant pour prouver à
celui qui répète avec obstination “je
ne saurai jamais dessiner”, que dès qu’il
est capable de voir juste, le problème du dessin
se trouve miraculeusement résolu. Démonstration
qui peut être très rapide. Voir à
cet égard l’excellente méthode de Betty
Edwards “Dessiner grâce au cerveau droit”. Beaucoup d’ateliers, de sections artistiques et
d’académies où on apprend encore à
dessiner d’après nature s’en inspirent.

 

Le
style personnel
dépend surtout des éléments
plastiques de l’oeuvre (voir ci-dessous), dans une proportion
nettement moindre du sujet littéraire lui-même
puisqu’un même sujet peut être traité selon
une infinité de styles différents.
Un
peintre débutant découvre rarement d’emblée
son style personnel, celui-ci apparaîtra progressivement,
par petites doses au gré des expériences créatives
qui se succéderont.
J’ai souvent remarqué que dans le domaine de l’art,
la progression n’est pas linéaire, mais qu’elle se
fait par paliers, par sauts quantiques, par des déclics
qui peuvent survenir au moment où on ne les attend
pas.

Le
style, qu’il soit d’époque ou personnel,
dépend essentiellement des éléments
suivants
:


1- Le sujet littéraire, ce qui est montré, raconté…

2- Le sujet plastique. C’est l’étape du “comment ?”. Comment représenter, comment raconter… en utilisant un vocabulaire plastique qui globalement, dépendra de:
– la forme,
– la couleur,
– les matières,
– la technique ou manière de combiner tout
cela,

mais
aussi de:
– la façon de composer,
– la façon de traiter l’idée.

Tous
ces points seront détaillés dans
les pages de ce manuel du peintre.

 

 

 

– Le sujet littéraire, premier pas pour trouver sa voie.

Je
suis toujours étonné de rencontrer des amateurs
qui ont envie de peindre, mais qui ne savent pas quoi, qui n’ont
pas d’idées. Pourquoi chercher loin ce que nous avons sous
la main, c’est-à-dire en nous ? Lorsque nous parlons, nous
exprimons avec liberté des choses qui nous sont chères,
auxquelles nous croyons. Il doit en être de même avec
notre dessin et notre peinture. Notre expression plastique doit correspondre à
ce que nous aimons ou rejetons, à ce que nous admirons ou exécrons, à ce qui nous est cher
ou insupportable. Si nous aimons la nature, peignons-la et surtout,
montrons ce que nous aimons en elle, exprimons à travers elle nos
émerveillements, n’en faisons pas une banale copie. Pour
bien exprimer un sujet, il faut que nous le connaissions bien.
Ne peignons pas des palmiers ou des lions si nous habitons une région
nordique ni des sapins ou des vaches normandes si nous habitons
au sud de la Méditerrannée. L’exotisme sera toujours mièvre si nous ne sommes
pas nous-mêmes “exotiques”. Combien de sujets
usés, artificiels, faux… peints par des amateurs qui
rêvent mal de ce qu’ils n’ont jamais vu, mal vu ou qu’ils
ne connaissent pas intimement ! Masques de Venise, femmes africaines,
indiens emplumés, gazelles, éléphants ou
toute autre reproduction photo… mais encore et plus
près de chez nous mais tout aussi “lointains”,
violons et violonistes, visages et nus féminins ou masculins
aux anatomies mal maîtrisées, chevaux, chiens, cygnes d’étang…
tous des sujets usés et pittoresques dont il n’y a plus
rien à tirer de neuf ni de convaincant. Sauf très
rare exception.

Peignons
ce qui nous motive et nous passionne, que ce soient des objets
matériels, émotionnels, conceptuels ou spirituels.
Si nous peignons des sujets extérieurs à nous, il
n’en résultera que des interprétations conventionnelles,
banales et sans âme. Dans le meilleur des cas on fera du
“joli”, mais rien de vrai ni de beau.

Avant
d’empoigner le pinceau, posons-nous ces questions fondamentales:
qu’est-ce que j’aime? Qu’est-ce qui me hérisse? Qu’est-ce
que je suis? Qu’est-ce que j’ai envie
de
dire, de partager, de crier ? La peinture est une manière
de s’expérimenter, c’est une voie vers soi et vers le monde,
ne la réduisons pas à un objet de rêverie
gratuite ou d’évasion, un refuge candide dans l’artificiel.
Par contre, si votre but est de vendre au mépris de vous-même,
sacrifiez votre authenticité sur l’autel de la reconnaissance,
vous trouverez toujours assez de naïfs tout disposés
à trouver génial ce qui n’est qu’insignifiant, surtout
si ce but est servi par un sens aigu de l’auto-glorification.

– le sujet plastique est l’objet des pages qui suivent, c’est par lui que l’artiste imprègne son sujet de son style personnel.

– Figuratif ou abstrait?
Les premières abstractions datent maintenant de plus d’une centaine
d’années (vers 1910), on peut s’étonner que la question
concernant sa légitimité se pose encore parfois avec
la même acuité qu’aux tout débuts. Les raisons
peuvent être multiples. Soit que le public ou les artistes
qui s’y opposent ne sont pas parvenus à entrer dans ce langage
par manque d’initiation et d’approfondissement ou que leurs certitudes
obtuses tiennent lieu de cadenas à toute ouverture vers tout
ce qui n’entre pas spontanément dans la sphère de
leurs références. Soit que la sensiblité, pour
entrer en résonance avec une oeuvre peinte reste dépendante
de la représentation des apparences extérieures des
choses. Soit encore que la peinture abstraite serait une fumisterie
qui aurait berné artistes, théoriciens et spectateurs
pendant plus d’un siècle.

Ce
combat semble bien en être un d’arrière garde car depuis
les débuts de la peinture abstraite, l’art a pris des directions
qui se situent bien ailleurs que dans cette alternative, par exemple
avec le dadaïsme, le surréalisme, le pop’ art, le land
art, l’art conceptuel, minimaliste, etc. Dans les domaines de l’art,
les intégrismes intellectuels du côté des adversaires
comme des partisans de l’une ou l’autre forme d’expression sont
légions et ne manquent pas d’ayatollahs. Il est toujours
plus confortable de se persuader qu’on détient la vérité
que de continuer à s’interroger.

M’efforçant
de rester à distance de tout intégrisme, qu’il soit
intellectuel ou religieux, je ne peux que donner ici ma propre réflexion
face à cette question.

Il
faut d’abord constater que l’art abstrait n’est pas monolithique,
les tendances sont multiples, mettant tantôt l’accent sur
le vocabulaire plastique pur (Kandinsky, Klee…), tantôt sur sa
nécessaire épuration (Mondrian, Malevitch…), tantôt
sur une dynamique expressive (Matthieu, l’action painting…), etc.

Définir
l’art abstrait n’est pas une chose simple, aussi laissons à
Michel Seuphor, son théoricien le soin de le faire pour nous:


“J’appelle art abstrait, tout art qui ne contient
aucun rappel, aucune évocation de la réalité,
que cette réalité soit ou ne soit pas le point
de départ de l’artiste”.


Gageons
que cette définition ne satisfera pas tout le monde, d’autant
plus que chacun des termes utilisés demanderait lui même
à être défini. Qu’est-ce par exemple que la réalité? Est-ce seulement ce que je vois ou
crois voir, c’est-à-dire l’extérieur, la superficialité
des choses? Une émotion, une pensée ne sont-elles
pas tout aussi réelles? Est-ce également ce qui existe
mais que je ne vois pas, comme une bactérie ou une forme
d’énergie, une onde? Une formule issue des mathématiques
ou de la physique quantique fait-elle partie de la “réalité”?
La réalité ne concernerait-elle que les phénomènes
qui tombent dans le champ étriqué de nos sens ou des
machines qui n’en sont que le prolongement ???

Ma
première question est donc: qu’est-ce qui est abstrait, qu’est-ce
qui ne l’est pas? Un carré, un rectangle(1) comme ci-dessus
sont-ils abstraits ou non, une ligne droite horizontale(2) est-elle
abstraite ou pas? En principe, ces figures ne désignent qu’elles-mêmes,
mais si je les associe(3), puis-je encore affirmer que la figure
qui en résulte est encore abstraite? La composition ci-dessous
à gauche (3) est-elle abstraite ou ne l’est-elle pas?
Si je m’en réfère à la définition de
Michel Seuphor, je constate qu’il est difficile pour une forme d’échapper
à toute évocation de la réalité objective
puisqu’une horizontale dans un cadre évoque aussitôt
l’horizon. Si je peins la partie du haut en bleu et celle du bas
en vert (4), j’obtiens un “paysage”, l’évocation
bascule dans la représentation. Que dire si j’ajoute un cercle
dans le “ciel” (5)?
De ceci on peut au moins conclure qu’il est difficile de ne rien
évoquer puisque notre cerveau travaille volontiers par associations
nourries par ses expériences, et d’autre part, qu’il ne suffit
pas d’être capable de représenter quelque chose pour
faire oeuvre d’art. Autrement dit, où se situe la frontière
entre abstraction et figuration ???


3


4


5

 

 

Les
deux exemples ci-dessous illustrent bien la difficulté
de définir de manière satisfaisante ce
qui est abstrait et ce qui ne l’est pas, de situer la
frontière entre la figuration et l’abstraction.
La photo “A” montre une vue du macrocosme,
la nébuleuse de l’aigle. Cette image n’a-t-elle
pas toutes les allures d’un tableau abstrait? Or il
s’agit bien d’un objet réel, un objet céleste,
donc tout ce qu’il y a de plus réel et figuratif.
La
photo “B” est une vue microscopique des cellules
de la peau. Un oeil non averti pourrait très bien confondre
ce document avec un tableau abstrait.

Comme
écrit plus haut, ce qui n’entre pas dans le champ
limité de notre oeil ou dans celui de nos représentations
a tendance à nous sembler étrange ou étranger,
à dérouter notre besoin de repères
sécurisants, même si l’objet fait partie
de nous-même comme les cellules de l’épiderme ou
les mouvements d’une émotion.

Qu’est-ce
qui est réel, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qu’est-ce
que la réalité ? Cette réalité
que certaines écoles philosophiques considèrent
comme une pure illusion…

 


A

 


B

 

 

Le desin figuratif et le dessin réaliste.

Entendons par dessin figuratif celui qui “figure” un objet, sans nécessairement en faire une copie conforme, en le soumettant éventuellement à diverses déformations intentionnelles. Le réalisme quant à lui sera plus fidèle à l’objet représenté, il en fera une copie plus conforme, dans certains cas photographique, par exemple dans le trompe-l’œil ou dans l’hyperréalisme.

On
pourrait alors et à juste titre se dire que représenter
est une chose et bien représenter en est une autre et donc,
que pour être un artiste, il suffit d’être habile dans
la représentation fidèle de la réalité
objective. Mon expérience dans l’apprentissage du dessin
d’observation me fait dire que ceci est également faux. J’ai
vu beaucoup d’étudiants maladroits devenir capables de réaliser
des dessins d’observation très fidèles mais qui ne
seront pas pour autant de grands artistes, toutefois leur habileté à représenter les apparences leur apporte de grandes satisfactions, ainsi sans doute qu’à leur entourage. Si le style l’exige, la représentation
maîtrisée est indispensable, sinon, éviter de s’aventurer dans des sujets complexes comme par exemple l’anatomie ou la perspective. Adaptons nos ambitions à ce que nous sommes capables de réaliser.

Contrairement
à un lieu commun fort répandu, reproduire fidèlement
un sujet n’est pas difficile; toute personne moyennement intelligente
et suffisamment persévérante est capable de le faire.
Il suffit de comprendre comment REGARDER et VOIR, enregistrer ce
qu’on a sous les yeux et le percevoir sans passer par les représentations
mentales définies ci-dessus et qui parasitent le regard.
Et cela, très peu y ont été entraînés.
Pourtant, les moyens existent, je les ai rencontrés… Témoins
les deux exemples ci-dessous extraits du livre de Betty Edwards “Dessiner grâce au cerveau droit”, éditions
Mardaga
.
Pour information, la quatrième édition de ce livre est sortie de presse. Elle a été actualisée et est dorénavant accompagnée d’un livre de quarante exercices décrits en français (http://editionsmardaga.com/Dessiner-grace-au-cerveau-droit-695) ainsi que d’un feuillet en plastique transparent, une “fenêtre” pour apprendre à transposer dans le plan de la feuille qui est à deux dimensions, ce que nous percevons en trois dimensions, sans doute la principale difficulté du dessin d’observation.
Un ouvrage à recommander sans réserve aux amateurs ou aux professionnels qui souhaitent maîtriser le dessin d’observation et aux professeurs qui veulent disposer d’une méthode logique et efficace pour enseigner la manière de “voir juste”: http://editionsmardaga.com/Dessiner-grace-au-cerveau-droit-4e

Précisons toutefois que cette modélisation de la répartition des fonctions cérébrales entre nos deux hémisphères est assez simpliste et qu’elle a été depuis sérieusement remise en question grâce aux progrès des techniques médicales de tomographie du cerveau; lors d’une opération mentale quelle qu’elle soit, les deux hémisphères sont également sollicités. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que pour nous livrer à diverses tâches, notre cerveau entretient des états mentaux différents, lorsque nous remplissons un formulaire de contribution, notre état d’esprit n’a pas grand chose à voir avec celui qui est le nôtre lorsque nous peignons.

 

 


Ces deux dessins ont été réalisés
par le même étudiant qui comme on le voit n’avait rien d’un
artiste. Un an les sépare. Le modèle est
le même. Le garçon s’est défait de
ses représentations clichées pour établir un contact direct avec les formes du sujet. Après
un an, il est parvenu à maîtriser parfaitement son observation, une étape indispensable pour tout artiste qui souhaite suivre la voie du réalisme et finir par imposer aux objets son style personnel.


 

Une
autre nuance doit être apportée lorsqu’on souhaite
opposer l’abstraction à la figuration. Un artiste qui structure
sa composition aussi réaliste soit-elle, suit une démarche
abstraite. Composer, dans sa préoccupation fondamentale, n’est pas
figurer, ni représenter, ni évoquer, c’est distribuer,
organiser des masses, des proportions en fonction d’une intention
précise. La figuration viendra éventuellement se greffer
sur ces masses, peut-être pas, mais la répartition
relève d’une démarche totalement abstraite.

D’autre
part, comme cela a été écrit ci-dessus, un
artiste qui dessine un oeil, une bouche, un arbre ou quoi que ce
soit d’autre, veille à la qualité formelle de ce qu’il
veut représenter. Reproduire ne suffit pas à assurer la
qualité esthétique de son dessin, or, une forme peut
présenter de grandes qualités en soi, qu’elle soit
figurative ou abstraite. Il est révélateur à
cet égard qu’en peinture, tout est forme, les pleins comme
les espaces entre les objets représentés, les “vides”,
or, si les pleins sont facilement reconnus comme formes, on oublie
souvent que les vides le sont tout autant et qu’ils ne correspondent
à rien de figuratif, ce qui signifie qu’ils sont abstraits.
Un artiste sensible à la forme est très attentif à
faire dialoguer deux contours qui se font face, de telle manière
qu’une relation dynamique s’établisse entre les deux et que
la forme qui se dégage présente des caractéristiques
plastiques.

 



Delacroix



Matisse

Les
deux exemples ci-dessus démontrent la préoccupation
de deux artistes pour les espaces vides, c’est-à-dire
pour des formes abstraites. Chez Delacroix, ces nombreux
espaces très variés révèlent
une richesse d’arabesque digne des abstraits les plus
préoccupés par l’élégance
formelle. Même remarque pour Matisse. En art
il n’y a pas de pleins, il n’y a pas de vides, il
n’y a que des formes.
Voir un exercice
d’observation des vides >>>


Ce
qui se rapporte aux contours concerne tout autant les couleurs ou
les matières. Une harmonie de couleurs peut être belle
en soi, indépendamment de ce qui la constitue, elle peut
être vivante, émouvante, sans qu’il y ait référence
nécessaire à une quelconque réalité
extérieure. Réciproquement, la réalité
extérieure nous émeut quand elle révèle
des aspects d’elle-même qui la transcendent et qui s’ajoutent
à la représentation conventionnelle.

Pourquoi
pourrions-nous admirer un bouquet de fleurs grâce à
une subtile harmonisation des couleurs et des formes et rester indifférents
à la même harmonie s’il s’agit d’une toile abstraite?

Selon
moi, la querelle entre figuratifs et abstraits est un combat futile
qui ne révèle que l’incapacité des uns et des
autres à s’ouvrir au regard et à la sensibilité
de l’autre. L’artiste choisit une voie plutôt qu’une autre
parce que c’est celle qui lui convient et s’il s’engage dans la
voie de l’abstraction, ce n’est pas comme on l’entend parfois, parce
qu’il serait incapable de bien “dessiner”, sous-entendu
de reproduire avec fidélité la réalité
objective, ce qui n’est qu’une conception fort approximative du
dessin. On voit d’ailleurs régulièrement de nombreux
artistes passer de l’une à l’autre avec le même bonheur.

Kandinsky
souhaitait faire de la peinture un équivalent de la musique.
La musique ne représente rien et c’est sans doute l’art le
plus subtil, certainement celui qui suscite le plus d’émotion.
Le vocabulaire musical rejoint souvent celui des arts plastiques
démontrant que l’expression de l’un est proche de celle de
l’autre: harmonie, accords, tonalité, dominante, sensible,
couleur, climat… Pourquoi un tableau ne pourrait-il pas nous toucher
indépendamment de ce qu’il représente, seulement en
fonction de ce qu’il contient comme ingrédients propres,
à savoir des couleurs, des formes, des mouvements, des ombres
et des lumières, des matières… tout cela étant
vecteur d’émotions et de pensée, parfois avec plus
de profondeur et d’intensité que la figuration?

 

 

 


Andréa
Tison, un travail autour du vide, “arbre” et “aubépine”

 

 

Ci-contre,
deux exemples d’une application particulière
de la sensibilité à la forme des vides.

Andréa
Tison
(B), un artiste contemporain, a arrêté
son attention sur les arbres qui entourent sa maison.
Séduit par la qualité graphique des
espaces entre les branches et les troncs, il a décidé
de matérialiser l’immatériel et de fixer
l’éphémère. Il a réalisé
une série de “sculptures” dont les
formes lui ont été suggérées
par les espaces entre les branches et sur lesquelles
il a peint des motifs créés par les
espaces entre les branchettes et les ramifications
des arbres de son jardin, utilisant pour cela divers matériaux:
bois, feuilles d’or, peinture à l’huile…

Une
démonstration pertinente de la pensée
bouddhiste selon laquelle “rien n’est plus réel
que rien”.

 

 

 

La forme >




© "Le manuel du peintre" dans le Louvre de Michel Barthélemy